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LES CRÉMATOIRES


Le Kommando “Effektenkammer” avait la charge de garder en dépôt les biens des personnes qui arrivaient au camp, envoyées par la Gestapo, et qui étaient désignées par le terme de “karteimässig”; ces détenues avaient leurs cartes sur lesquelles figuraient leur identité et l’énumération de leurs biens.
Sur la męme carte était indiqué, ultérieurement, le sort du détenu : mort, transfert ou libération. La mort (verstorben) était inscrite sur la base des listes apportées tous les jours par les Läuferinnen (commissionnaires) du bureau du Revier. Les biens de la défunte étaient confisqués au profit du Troisième Reich. Seuls les biens des Reichsdeutsche étaient renvoyés aux familles.
Les mises en liberté étaient tellement rares que la lettre « e » (entlassen) ne figurait presque jamais. Sur des milliers de femmes entrées au camp, quelques centaines seulement furent libérées, toutes des “Erziehungshäftlinge”37 qui ne faisaient que passer au camp.
La section politique envoyait les listes de transfert dans un autre camp (Überstellung); la lettre « ü » et la date étaient alors inscrites sur la carte.
Une détenue pouvait donc ętre désignée par les lettres « u » ou « v ». Si la carte ne portait aucune annotation, cela signifiait que la détenue vivait encore et qu’elle souffrait, quelque part dans le camp.
Toutes ces annotations étaient faites à l’Effektenkammer, bureau oů se trouvait aussi la “Namenkartei” (fichier des noms) et le registre des dépôts : bijoux, cartes d’identité, papiers et photos. De là partaient les instructions envoyées aux baraques oů l’on gardait, dans des sacs, les objets appartenant aux détenues.
Grâce à l’intervention de Wala, je fus affectée à l’Effektenkammer. C’était assurément l’échelon supérieur de la « carrière » au camp. Un travail, malgré tout, dans l’intéręt des détenues, puisqu’il avait pour but de sauvegarder leurs biens. Ce travail avait encore un bon côté : parmi les objets pris aux détenues après leur mort, il était possible aussi « d’organiser » quelque chose pour soi. On échangeait ces objets contre des pommes de terre ou d’autres vivres provenant des colis.
Quant à moi, je recevais alors des paquets régulièrement, si bien que j’arrivais à apaiser en partie ma faim qui était féroce, après le typhus.
Aussitôt l’appel terminé, j’allais au travail. Je n’avais plus besoin d’errer sur la wiza. Je revenais peu à peu à la vie. Męme l’attitude du chef à notre égard était meilleure. Mes cheveux repoussaient.
A la fin du mois de mars, dans la baraque de l’Effektenkammer, située par-delà la porte du camp, dans un pré, j’étais assise à la table sur laquelle se trouvait le fichier des noms de toutes les détenues. Automatiquement, j’apposai sur les fiches le cachet “verstorben”, d’après une liste fournie par le bureau. A l’horizon, les panaches de fumée laissés par les trains qui passaient à la gare d’Auschwitz. Par les fenętres ouvertes de la baraque pénétrait l’odeur du printemps naissant...
— Que fais-tu en ce moment ? — demanda Basia, une drôle de musulmane à lunettes.
— Les listes de décès du mois de décembre.
— Beaucoup de connaissances ?
— Presque tout mon convoi.
— Et toi, tu es là ! Comme c’est curieux. Et le printemps revient, comme si de rien n’était.
Au męme instant, je remarquai des noms : Drews Wiesława, Czerwińska Zosia, Hiszpańska Natalia... Je sortis la fiche de Czerwińska Zosia, ma petite Zosia. Je la relus plusieurs fois. Je mis le cachet “verstorben” et j’ajoutai : 20/XII/43.
— Qu’est-ce que tu as ? — demanda Basia — tu pâlis.
— Rien, presque tout Pawiak est là devant moi, sur ces listes.
— Je comprends — soupira Basia — tout mon convoi aussi est mort en décembre ou en janvier. Des filles bien portantes, les plus fortes... Je me demande comment, moi, si chétive, j’ai pu résister.
Un train siffla au loin. Ma nostalgie de la liberté augmentait.
— Si on pouvait seulement s’accrocher au train et le suivre en skis, jusqu’à la maison, soupira Basia...
— Kraczkiewiez Zosia — verstorben...
— Roterczyk Hania — verstorben...
— Skąpska Maria — verstorben...
Je continuai à apposer les cachets et je me rappelai chacune d’elles, comme dans un brouillard. L’arrivée à la prison, les promenades sur la wiza, nos conversations, nos discussions, nos projets, nos espoirs... Que restait-il de tout cela ? Un fichier avec les noms des mortes...
Après le travail, profitant d’un moment de liberté avant la Lagerruhe, j’allai au Revier... Je ne pouvais pas oublier les malades, qui attendaient un peu d’eau chaude.
J’entrai en cachette, le soir, au lavabo, pour prendre de l’eau. La Kapo, une « triangle noir » en pantalon, essayait d’entraîner une jeune fille qui passait :
— Viens ici, tu auras des patates chaudes !
La jeune fille ne comprenait pas... quelqu’un lui offrait des pommes de terre... Une autre femme ? Qu’est-ce que cela voulait dire ? Elle s’approcha, méfiante, regarda de près ces traits vulgaires, vit les yeux troubles, les gestes obscènes. Tout à coup, la jeune fille affamée comprit. Elle s’enfuit. La « triangle noir » la suivit. Je profitai de ce moment favorable pour pénétrer dans le lavabo désert. Todzia, une Polonaise préposée à l’entretien des lavabos, mit rapidement une casserole sur le feu. Je me lavai les mains. Un instant après, Todzia me tendit la casserole d’eau bouillante et avec un bon sourire :
— C’est pour une malade, n’est-ce pas ? Quelle chance que cette peste soit sortie...
Je réussis à pénétrer sur le terrain du Revier, derrière le dos de la gardienne... Devant la baraque 24, un monceau de cadavres... Quelque chose remuait devant les barbelés... Mon premier réflexe fut de m’enfuir, mais quelque chose me poussa à regarder... J’approchai : un enfant de trois ans était assis devant la baraque et suçait le doigt d’un cadavre...
En ouvrant la porte, je fus suffoquée par le manque d’air. Je retrouvai dans la pénombre celle que je cherchais, une tuberculeuse. Je savais qu’elle allait mourir. Je lui donnai de l’eau. Elle saisit la casserole de ses mains tremblantes. Sur le lit voisin, j’aperçus Marysia, de Pawiak, immobile et, près d’elle, Stefa en pleurs. Le docteur Nula, toujours si vaillante et énergique, était couchée paralysée. Ses immenses yeux noirs regardaient tristement l’infirmière qui s’affairait. Le pire pour elle, c’était de ne plus pouvoir aider celles qui souffraient.
Devant la baraque, s’arręta un camion sur lequel on chargea les cadavres. Deux hommes du Leichenkommando sortirent de la cabine du chauffeur. Deux détenues aux mains gantées, empoignèrent chacune d’un côté un cadavre et essayèrent, en le balançant, de le jeter sur le camion. L’une souriait, l’autre chantonnait. L’infirmière Zosia, une jeune fille de 17 ans, assistait à cette opération, les yeux agrandis par l’effroi. Comme elles étaient dures, les filles du Leichenkommando!
— Je n’arrive pas à toucher un cadavre. C’est si froid ! C’est terrible !
Personne ne faisait attention à elle. Les hommes firent monter une autre infirmière dans la cabine du chauffeur. Ils s’embrassèrent, pendant que le cadavre, balancé dans l’air, retombait avec un bruit sourd dans le camion.
Je me sauvai. J’étais à peine arrivée dans mon Block, que les lumières s’éteignirent. Des coups de sifflet et des cris retentirent : « Lagersperre, Lagersperre!... Défense de sortir ! »
Nous restions accroupies dans un coin de la baraque, en chuchotant : « Qui va-t-on prendre aujourd’hui ?... C’est notre tour, peut-ętre ? » Puis, le silence, un silence plein de menaces. Une heure, peut-ętre deux s’écoulèrent. Ensuite, des autos passèrent avec bruit.
— Ils vont au Revier — chuchota quelqu’un.
Les camions s’arrętèrent. Nous faisions effort pour entendre. Ils repartirent. Le bruit des moteurs augmentait. En męme temps, un chant s’élevait :

Allons enfants de là Patrie...

Que se passait-il ? je tendis l’oreille. Tout le monde était stupéfait. Le chant révolutionnaire, chanté par des Françaises condamnées à mort pénétrait partout, roulait, s’éloignait. Il résonna encore faiblement, puis il se perdit dans les ténèbres.
La sélection au Revier donnait lieu à des scènes monstrueuses. Les malades se cachaient, se débattaient, ne se laissaient pas emmener. Une jeune fille resta nue toute une nuit, au milieu des cadavres.
— Qu’est-ce qu’elle y gagnera ? — dit quelqu’un. De vivre quelques jours de plus, jusqu’à la prochaine sélection...
— Mon Dieu ! — soupira une autre. — Pourquoi tient-on tant à la vie ?
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Le chef entra dans notre bureau. Un SS, grand et maigre, aux longues moustaches. (Il était d’origine roumaine.) Il déclara d’une voix glaciale :
— Morgen gehen wir nach Birkenau38 .
Birkenau était une annexe du camp. Les crématoires se trouvaient là-bas. Il y avait aussi de nombreuses baraques oů l’on entassait les biens des Juifs. Notre chef avait obtenu quelques baraques pour notre Kommando. Le nombre des convois augmentait, la place manquait.
Au début du mois d’avril 1944, pleines d’appréhension, nous nous transportâmes à Birkenau. Il nous faudrait voir de près les gens allant à la mort.
Je m’efforçai de ne pas penser à cela. Cet emploi était un gros lot qui représentait la vie ! L’important, c’était que je puisse travailler à l’abri. Pourtant, des camarades avaient préféré le travail au dehors, de peur de voir notre Kommando devenir un Sonderkommando.
Le Sonderkommando, en effet, qui assurait le service au crématoire, était voué à la mort, sans aucune exception. De temps en temps, on le liquidait, car il était le témoin direct des crimes. On le remplaçait et les membres du nouveau Sonderkommando n’ignoraient rien du sort qui les attendait.
Toutes ces nouvelles nous inquiétaient. Nous finissions toujours par conclure : « Ętre exterminées ici ou là, quelle différence ? Partout des barbelés. » Pourtant, j’avais peur de l’inconnu, lorsque je franchis pour la première fois la porte de Birkenau.
Nous nous installâmes dans quatre baraques. Trois d’entre elles contenaient les sacs bourrés d’objets et de vętements divers. La quatrième nous servait de bureau.
A partir de ce moment, tous les convois passèrent par Birkenau. Une fois habillées et douchées dans notre Sauna, les détenues étaient dirigées sur le camp, pour la quarantaine.
Nos baraques étaient séparées de celles des hommes par la Lagerstrasse. Une simple rue, mais au lieu de maisons, des baraques, au lieu de véhicules, des voitures à bras, tirées par des détenus...
Le Block oů nous habitions était situé dans une rue latérale. Les autres baraques de cette rue faisaient partie du Canada. On appelait ainsi les baraques qui contenaient les affaires des Juifs gazés. (Ce nom était le symbole d’immenses richesses.)
Derrière notre Block, un petit espace oů se trouvaient les cabinets. En face, un crématoire, entouré de barbelés, et derrière, la cheminée d’un autre crématoire. En sortant de notre bureau, de l’autre côté de la baraque, on voyait nettement un troisième crématoire. En face de toutes ces rues, se trouvait la Sauna. Au loin, derrière la Sauna, se dessinaient les contours d’un quatrième crématoire. Tous se ressemblaient : des bâtiments d’un étage, larges, en briques rouges, surplombés de deux cheminées. Autour, des barbelés entremęlés de branches pour les dissimuler. De loin, on ne voyait que les cheminées.
Le bâtiment de la Sauna était construit solidement, en briques rouges. Des milliers de gens y passaient. A l’intérieur, se trouvaient des douches, les salles oů l’on se déshabillait et celles oů avait lieu l’épouillage des vętements. Il y avait de l’eau chaude jour et nuit. Un vestiaire pour les nouveaux arrivés s’y trouvait. Tout autour du camp, des barbelés électrifiés.
Le terrain de Birkenau était très varié. Quelques rares bosquets de bouleaux avaient donné leur nom à cette annexe du camp.
Passée la porte d’entrée, de part et d’autre de la route qui conduisait au crématoire, près d’une petite maison blanche, des champs de sarrasin et de lupin. Sur les espaces libres, entre nos baraques, on plantait des pommes de terre et des légumes. Devant ces baraques, des pelouses et des fleurs.
L’endroit le plus romantique se trouvait derrière la Sauna, au voisinage du crématoire. La vue de la « maison blanche », inspirait une joie insouciante. Lorsque le soleil éclairait cette partie de Birkenau, on avait l’impression que la maison blanche était une villa idyllique, pour gens paisibles, recherchant le calme. Et c’était là qu’on exécutait les condamnés à mort. On les fusillait, les murs, à l’intérieur, étaient rouges de sang. On avait recours à ce mode d’exécution pour les petits groupes d’hommes (d’une centaine environ).

 

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